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Peintures - Le biosourcé s’invite dans les formules

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Date de publication :
Septembre 2011

 

Mots-clés:
biosourcé, bioproduit, biomasse, végétal, peinture, revêtement, résine, solvant

Tiré par la demande marketing, le secteur s’intéresse de plus en plus aux agroressources et aux produits dits « naturels ». Les premières peintures « vertes » arrivent sur le marché grand public. Pourtant, les peintures 100 % agrosourcées ne devraient pas voir le jour avant quelques années.

 

« Lentement mais sûrement, nous devons rechercher davantage d’autres sources de matières premières et en optimiser l’usage», affirme Andrew Trapani, directeur Technique EMEA de Dow Coatings Materials. Les ingrédients pétrosourcés font ainsi petit à petit de la place à ceux issus de l’agro-industrie et aux substances « naturelles ». Les fabricants s’intéressent de plus en plus à cette question. « De nombreuses sociétés ont créé des services autour de la chimie du végétal», constate Michel Larivière, vice-président de l’AFTPVA (association française des techniciens des peintures, vernis, encres d’imprimerie, colles et adhésifs).

Si le marché des peintures compte désormais des produits partiellement biosourcés, les acteurs du secteur prévoient qu’il faudra encore quelques années avant d’obtenir des formulations totalement « vertes ». Patrick Verlhac, directeur technique du fabricant de peintures Onip, présent sur les marchés professionnel et grand public, estime que «  d’ici 2 à 5 ans, on trouvera des produits qualitatifs. Aujourd’hui, on peut trouver des peintures dont 90 % ne sont pas issus de la pétrochimie, mais les performances techniques ne sont pas équivalentes. Le végétal oui, mais il ne faut pas faire n’importe quoi. Nous ne voulons pas vendre une peinture « 100% naturelle », si elle ne sèche pas, si elle jaunit dans le temps, etc. ».

Pour d’autres, les échéances sont plus lointaines. « Le changement se fera en plusieurs étapes. Entre aujourd’hui et trois ans, nous devrions avoir des résines 100% végétales pour le secteur décoratif avec des performances équivalentes aux résines pétrosourcées actuellement utilisées. Il faudra entre 3 et 6 ans pour disposer de polymères issus du végétal pour les peintures industrielles. Puis entre 6 et 9 ans pour remplacer la partie minérale par des matières renouvelables », prévoit Henri Planeix, directeur R&D de Mäder, fabricant de peintures qui propose aujourd’hui la gamme Geopur, « 1ère gamme sur la base de résine totalement agrosourcée ». Car toutes les catégories de matières premières composant les peintures ne sont pas au même niveau de développement. Et les avancées concernent avant tout les peintures d’intérieur destinées au grand public.

Les résines polymères qui servent de liant font la course en tête. Ces résines «  vont permettre d’adhérer au support et lier les différents composants », selon Stéphane Texier, responsable commercial de Coatings & Polymers de Croda France. Ces polymères représentent «  de 10-15 % à presque 50 % de la peinture, plus elle est brillante », selon Alain Lemor, responsable R&D de Novance Innovation, du groupe Sofiprotéol.

 

Les résines alkydes, les plus en avance

Pour ses peintures décoratives Tollens, MaterisPaints inclut entre 10 et 30 % de ces résines qui permettent de lier les différents composants entre eux mais également apportent des performances d’adhérence sur les supports. Pour sa gamme Elements de Tollens lancée au printemps 2011, le fabricant a utilisé une émulsion d’alkyde végétal. « Il s’agit d’une résine d’origine végétale mais qui a subi des opérations industrielles de transformation », note Thierry Jeannette, responsable Développement et innovation de Materis-Paints. Parmi, les trois grandes technologies de peintures, l’émulsion alkyde semble être celle où la part de végétal peut être la plus grande.

Selon une étude de Francis Viez, dirigeant de DVI Labo, «  lorsque l’on fait une approche matière première renouvelable, on constate, sur une peinture satinée blanche murale intérieure, que la part issue du pétrole est assez proche entre une peinture glycérophtalique base solvant et une peinture base dispersion acrylique, (respectivement 35 % et 26 %) mais qu’elle se réduit de manière significative avec une peinture base alkyde émulsion (7%) ». Ainsi, dans le cas de peinture glycérophtalique, la part issue du végétal représente 30 %, pour 39 % dans les dispersions acryliques et 58 % dans les émulsions d’alkyde (l’étude de DVI Labo inclus l’eau dans la part végétal).

Dans cette dernière catégorie, des résines ont notamment été développées par les sociétés Vandeputte et Novance. « Nous avions déjà des alkydes issus de la modification de polyester avec des huiles végétales. À partir de 2007, nous avons enregistré des demandes de nos clients pour proposer des liants exclusivement d’origine végétale. Il y a un peu plus d’un an nous avons initié un développement avec le fabricant de peintures Maestria pour de tels liants. Nous avons ainsi obtenu un polymère 100 % d’origine végétale. Cependant, pour le mettre en phase aqueuse nous étions obligés d’utiliser des matières issues de la pétrochimie. Au final, nous avions un liant à 95 % d’origine végétale. Aujourd’hui, nous utilisons des tensioactifs d’origine végétale et proposons ainsi un liant à 100 % d’origine végétale », détaille Alain Lemor.

 

En effet, une offre se développe autour de surfactants permettant de passer en phase aqueuse une résine alkyde conventionnelle. Croda propose des émulsifiants partiellement biosourcés pour les fabricants de résines alkydes. « Nous travaillons actuellement pour obtenir des émulsifiants 100 % biosourcés », précise Stéphane Texier, responsable des ventes Coatings & Polymers de Croda France.

Aujourd’hui, outre la gamme de MaterisPaints, on trouve sur le marché les gammes Colours nature de Castorama et enVie de Leroy Merlin qui utilisent des émulsions d’alkyde végétal, selon Francis Viez (DVI Labo) qui ajoute que « dans le domaine professionnel, le société Keria a lancé une gamme sur le même concept ». Les peintures à base d’émulsions d’alkyde végétal prennent donc de l’avance par rapport à celles à base de résines acryliques. Comme en témoigne Henri Planeix, directeur R&D de Mäder, « pour les peintures décoratives, les résines alkydes sont déjà partiellement biosourcées, par contre pour les autres secteurs, on ne trouve aucune résine du type acrylique, époxy, agrosourcée ».

Pourtant, Daniel Gronier, dirigeant de DGChem, constate qu’il existe aujourd’hui dans ce domaine « des sociétés très impliquées, notamment Arkema qui est en train de donner des origines biosourcées à ses résines acryliques ». Quant aux peintures glycérophtaliques, « certaines résines glycéro viennent du colza ou de l’huile de tournesol, mais on est en phase solvant », note Patrick Verlhac, directeur technique de la société Onip.

 

Se pose en effet la question du solvant. Si l’utilisation de l’eau est de plus en plus fréquente, motivée par la réglementation notamment, il reste des peintures pour lesquelles des solvants ou co-solvants sont indispensables. « Aujourd’hui, il existe des solvants biosourcés, mais ils sont assez lourds et sont plutôt utilisés comme dégraissants et dans certains cas comme liants voire vecteurs de dispersion. Aujourd’hui, un gros travail est fait pour développer des solvants plus légers. Un investissement en R&D qui portera ses fruits à moyen terme », estime Daniel Gronier (DGChem).

Un sujet sur lequel planche notamment Philippe Brunet, directeur général de la société Peinture Innove Bourgogne, spécialisée dans les produits pour l’industrie. « Nos produits sont très techniques pour protéger aussi bien les sols industriels que les trains. Il s’agit de peintures bi-composant, soit des polyuréthanes, soit des époxy. Un de nos axes de travail s’oriente sur les biosolvants, afin de les substituer aux solvants issus du pétrole. Aujourd’hui, l’offre est assez maigre. Il reste encore beaucoup à développer en matière de solvant pour arriver à une substitution complète ».

Le dirigeant indique ainsi n’avoir pas encore « trouvé d’équivalent en termes de caractéristiques chimiques (solvabilité, densité), ni de prix équivalent ». Sur ce thème des solvants biosourcés, il estime à deux ans l’échéance pour constater une évolution importante.

 

Additifs : une catégorie au cœur des développements

Et les limites rencontrées dans les résines et les solvants ne sont pas les seules pour un fabricant qui voudrait produire une peinture 100 % agrosoucée. Une fois le liant et le solvant choisis, il faut encore trouver des additifs issus du végétal. Là, les choses se corsent face à la diversité des additifs. « Il en existe de nombreux : pour préparer la peinture, la stabiliser, la rendre plus ou moins réactive, etc. Les grandes familles sont les agents dispersants et mouillants, les agents épaississants pour régler la viscosité de la peinture durant son stockage et son application, des agents siccatifs, des anti-peau, anti-UV... Puis, il peut y avoir des additifs spécifiques au type d’application », détaille Alain Lemor, responsable R&D de Novance. Et pour chaque catégorie l’offre n’est pas équivalente. « Dans les dispersants, on commence à voir des produits issus du végétal. De même pour les épaississants. Il existe également des tensioactifs issus du végétal. Pour les peintures à l’eau, les biocides sont principalement pétrochimiques mais il semble qu’il commence à y avoir une offre biosourcée », constate Patrick Verlhac (Onip).

Et si certains produits sont déjà sur le marché, ils ne satisfont pas forcément les demandes des fabricants de peintures. Pour sa gamme Elements, MaterisPaints a ainsi éprouvé des difficultés à trouver des additifs d’origine naturelle. « Les épaississants d’origine naturelle ne sont pas tous de qualité suffisante. De même pour les dispersants. Il a été néanmoins facile de trouver des anti-mousses d’origine naturelle. Quant aux tensioactifs, nous avons eu beaucoup de mal à en trouver. Finalement les additifs représentent le poste où nous avons eu le plus à travailler », constate Thierry Jeannette. Sur les agents épaississants, Francis Viez (DVI Labo) note cependant des travaux sur l’amidon modifié et les alginates issus des algues. Pour les agents mouillants, il cite le polyphosphate de sodium de Lefrant Rubco qui n’est pas pétrosourcé. Chez Croda, Stéphane Texier cite la mise sur le marché d’un durcisseur pour résine époxy biosourcé. Ainsi, les solutions agrosourcées se développent petit à petit en fonction des différentes catégories d’additifs.

 

Enfin, les charges et les pigments composent deux catégories un peu à part.

D’abord, les charges qui sont généralement des poudres issues de minerais broyés. « Elles permettent d’augmenter les matières minérales avec un coût moindre que les pigments », souligne Alain Lemor, responsable R&D de Novance Innovation du groupe Sofiprotéol. En tant que minérais, elles répondent au guide des allégations environnementales sur les produits « naturels ». Ce guide rappelle le règlement Reach qui définit les « substances présentes dans la « nature » : une substance naturelle, telle quelle, non traitée ou traitée uniquement par des moyens manuels, mécaniques ou gravitationnels, par dissolution dans l’eau, par flottation, par extraction par l’eau, par distillation à la vapeur ou par chauffage uniquement pour éliminer l’eau ou qui est extraite de l’air par un quelconque moyen ». Une définition qui n’est pas toujours suivie par les fabricants, comme le souligne Jean-Pierre Pellegry, dirigeant d’Ipharos, producteur de peintures « naturelles ». Il a publié le Petit guide des peintures naturelles ou « comment certains fabricants ont une notion un peu particulière de ce qui est naturel ». Cependant, ce ne sont pas les charges qui posent problème. Du fait de leur composition, elles répondent généralement à la définition de Reach.

Il est par contre plus difficile de trouver des pigments qui répondent à cette définition. En effet, si le pigment «  incontournable pour les peintures satinées et brillantes », selon Francis Viez (DVI Labo), est bien d’origine minérale, le dioxyde de titane (TiO2 ) subit « des opérations industrielles lourdes lors de sa synthèse », indique Thierry Jeannette (MaterisPaints). Il ajoute qu’« aujourd’hui, il n’existe aucun pigment blanc pour remplacer le TiO2 ». Et Patrick Verlhac chez Onip ne se montre pas très optimiste : «  Il s’agit d’un pigment essentiel à la peinture et on ne trouvera pas ce genre de chose dans le végétal . » Pour les pigments organiques, les avis divergent. Ainsi, Francis Viez (DVI Labo) estime que « les pigments organiques végétaux sont techniquement faisables mais le prix fait que ce n’est pas commercialisable ». De son côté, Daniel Gronier (DGChem) semble confiant. «  On voit émerger des plateformes d’acide succinique, un précurseur très utilisé en chimie de spécialités, notamment dans la synthèse des pigments organiques de hautes performances (Quinacridones et DPP {ndlr, dicéto-pyrrolo pyrrole}). On peut donc imaginer d’ici un à deux ans voir émerger une offre en pigments organiques d’origine renouvelable », pronostique-t-il.

 

Une fois les différentes matières premières sélectionnées, les fabricants peuvent mettre en place la formulation de leur peinture. « Le process reste le même. Une poudre qu’on dilue dans l’eau », indique Francis Viez (DVI Labo). Patrick Verlhac (Onip) le confirme : « Il s’agit généralement d’un mélange. Nous n’avons pas besoin d’investir dans de nouveaux équipements industriels . » Cependant, si aucun investissement n’est nécessaire pour la production, les fabricants de peintures anticipent une hausse des prix liés à la matière première.

 

Un surcoût de 30 à 50 % minimum

Des montants qui peuvent bloquer au moment des investissements. En témoigne Philippe Brunet (Peinture Innove Bourgogne). «  Le prix nous paraît rédhibitoire. Aujourd’hui, le prix est triplé par rapport à des produits pétrochimiques. Notamment sur les agrosolvants où nous sommes loin de ce que nous trouvons pour les produits chimiques. Pour les tensioactifs, les écarts de prix sont moindres mais le panel produit est encore réduit  ». Henri Planeix (Mäder) le constate également. «  Le coût d’une résine biosourcée est doublé. Pour un pot de peinture décorative, cela engendre un surcoût de l’ordre de 30 à 50 % ».

Néanmoins Alain Lemor (Sofiprotéol) se veut rassurant. « Pour un alkyde végétal en émulsion, nous sommes 50% plus chers qu’un produit issu de la pétrochimie. À terme, le prix devrait baisser avec l’augmentation des volumes ». Francis Viez (DVI Labo) constate pour sa part que «  les prix des peintures décoratives biosourcées sont supérieurs de 20 à 30 % par rapport à des produits issus de la pétrochimie. Mais la volatilité du prix du pétrole est bien plus importante que pour les produits agricoles ».

 

S’il reste encore des développements à mener pour obtenir une plus grande part de produits biosourcés et faire baisser les prix, le marché des peintures décoratives semble bien engager dans l’utilisation des agroressources.
Et les peintures industrielles devraient profiter des avancées faites pour le grand public pour suivre la même voie à plus longue échéance.

 

 

Les principaux composants de la peinture

  • Les solvants: de plus en plus de l’eau et des co-solvants.
  • Le liant: généralement une résine polymère qui permet de lier les différents composants entre eux.
  • Les pigments: le principal aujourd’hui étant le dioxyde de titane. Ils peuvent être minéraux ou organiques.
  • Les additifs: la catégorie la plus diversifiée, puisqu’on trouve plusieurs types d’additifs : les agents mouillants, dispersants, épaississants, siccatifs, anti-peau, anti-UV, etc.
  • Les charges: il s’agit généralement de minerai broyé tel que la craie, le carbonate de calcium, etc.

 

Bientôt les premières peintures Ecocert

Alors que les premiers dossiers de labellisation devraient être déposés en septembre, les « peintures écologiques d’origine naturelle contrôlées par Ecocert » devraient arriver sur le marché début 2012, estime Valérie Lemaire, d’Ecocert Greenlife. Ce référentiel viendra compléter l’Ecolabel qui existe aujourd’hui.

« Contrairement à ce label qui cherche un niveau de qualité environnemental supérieur avec des limitations en termes de produits et substances utilisées, nous nous intéressons à chaque matière première introduite, leur naturalité et l’origine de chacune d’elles. Nous voulons également informer un peu plus le consommateur », confie Anne Lafourcade, expert indépendant ayant participé à l’élaboration de la labellisation Ecocert. L’objectif étant notamment de protéger le consommateur en limitant les substances dangereuses et les émissions de COV tout en l’informant sur le produit. Cette labellisation couvre toutes les étapes de fabrication du produit : de la matière première au produit fini. Les opérations de production, le choix de l’emballage et de l’étiquetage, notamment ne seront pas oubliés.

Ce référentiel répond à une demande des acteurs du secteur. « Des petits fabricants de peintures mais aussi de gros acteurs ont fait une demande de labellisation avec des critères rigoureux pour ces appellations de produits d’origine naturelle », indique Valérie Lemaire. Un comité technique a été créé avec la filière afin d’élaborer les critères d’attribution de cette labellisation. Les premiers échanges ont débuté fin 2008 et des consultations de la filière ont été effectuées en 2010 et 2011. Les premières labellisations concerneront des peintures murales, « car c’est le domaine où nous avons le plus de partenaires actifs, mais nous sommes prêts à finaliser les critères pour les autres domaines », note Anne Lafourcade.

La question des critères ne recueille pas l’unanimité. « Le référentiel en cours de réflexion propose un nombre de dérogations trop importantes pour des produits chimiques », déplore un producteur de peintures « naturelles ». « Nous avons fixé la barre suffisamment haut pour pousser les fournisseurs vers des produits plus respectueux de l’environnement tout en laissant la possibilité d’avoir des produits sur le marché. Nous avons ainsi pris des décisions sur les produits qui ne seront pas acceptés et ceux qui pourront l’être en fonction des performances techniques qu’ils apportent », indique Valérie Lemaire.

Si les substances CMR sont refusées, pour les autres matières premières, il faudra fournir des informations sur la matière et son procédé de fabrication. Il n’est, par exemple, « pas impossible » que certaines peintures solvantées soient labellisées. Et pour les produits biosourcés, le procédé sera également scruté. «  On peut greffer trois carbones issus du végétal sur une molécule mais si le greffage est polluant ou toxique et si la synthèse n’a pas d’intérêt environnemental, la question va se poser. On peut avoir un pourcentage végétal plus faible mais un produit plus écologique », conclut Valérie Lemaire.

 

Rédigé par AURÉLIE DUREUIL, Formule Verte

Crédits photos: i-stock (illustration n°1), Materis/Tollens (2), PIB (3), Patrice Guittet (4), Mäder (5), Fotolia (6)